De Blind Guardian à Eluveitie : quand le médiéval fantastique s’invite dans le metal

Si je te dis que j’écoute du metal depuis vingt ans, je doute que cela te surprenne. Cette musique rassemble plutôt un public de niche, mais qui est bien représenté chez les férus d’imaginaire. Aujourd’hui, cher lecteur, chère lectrice, on va parler de musique. Si tu as arpenté les festivals, ou les salles de concert, tu auras vu les liens entre l’univers médiéval, y compris fantastique et le metal. Le kilt et la chemise à lacets sont devenus des vêtements fréquents. Quant à la palette d’accessoires, elle s’élargit : aux traditionnels bracelets de force s’ajoutent anneaux de barbe ou cornes à boire. Mais surtout, puisqu’on parle de musique, cela influence le style en lui-même.
Le médiéval fantastique dans le metal, à quand ça remonte ?
Tu t’en doutes, si la question était simple, ça ne me prendrait pas tout un article pour y répondre. Et encore, je ne ferai qu’effleurer le sujet. Il faut déjà se demander où on cherche le médiéval. Le metal, c’est de la chanson, avec de la musique, certes, mais aussi des paroles (merci, Captain Obvious !). D’après la page Wikipedia qui lui est dédiée, le medieval-metal remonterait aux années 90. Ladite page cite trois groupes en références : Schandmaul, In Extremo, et Subway To Sally.
Le medieval-metal, ou la transposition metal du folklore
Celui que je connais le mieux, c’est In Extremo, que j’ai vu deux fois au Summer Breeze.
Tu peux l’entendre par toi-même : le groupe fait la part belle aux instruments médiévaux, ou d’inspiration médiévale, et opère une fusion particulièrement réussie entre les sonorités folkloriques et metal. Depuis quelques années, ce sous-genre est très populaire, et particulièrement apprécié en festival.
Nous avons vu ici un exemple de groupe intégrant littéralement des instruments folk. In Extremo est surtout populaire en Allemagne (langue allemande oblige), et voit sa popularité grandir sur le tard. Cependant d’autres groupes occupent le terrain depuis beaucoup plus longtemps.
Le power-metal, ou le heavy-metal teinté de chevalerie et d’heroic-fantasy
Dans les années 80, l’heroic-fantasy était en vogue auprès d’une certaine jeunesse. Donjons et Dragons avait fait son apparition une dizaine d’années plus tôt, et allait devenir le premier jeu de rôle d’une longue liste. Et à l’instar du metal, le fait de te passionner pour ce genre d’univers te mettait dans le groupe des maginaux. C’est donc très logiquement que deux contre-cultures se sont rencontrées.
Bien sûr, quand il est question d’un groupe qui représente cette rencontre, c’est Manowar qui est dans tous les esprits. Chargée d’un imaginaire viril et guerrier, largement emprunté à Conan le Barbare, le groupe a fait de nombreux émules. Mais en dépit de ce qu’on pourrait croire, il n’a pas été le seul, loin s’en faut. Dans la même période, Ronnie James Dio se lançait en solo et a largement puisé dans cet imaginaire. Et bien sûr, la scène allemande a excellé dans le genre avec, comme fer de lance, Helloween. Les deux albums Keeper Of The Seven Keys part I et part II restent une pierre angulaire du genre.
Le groupe de Hambourg a d’ailleurs fait de nombreux émules en Allemagne. L’imaginaire médiéval, fantastique, nourrissait un metal haut en couleurs, mais ne brillant pas toujours par son originalité. Les groupes ont été légions, beaucoup n’avaient pas vraiment de personnalité, mais d’autres se sont distingués en beauté. Il y a un groupe parmi eux, particulièrement brillant, dont il va être question ici.
Le power-metal, aux origines du medieval-metal ? Le cas de Blind Guardian
Comme Helloween, Blind Guardian correspond aux canons du power-metal. Cela se traduit déjà par un imaginaire très puissant et très axé autour de la fantasy. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder leurs pochettes d’albums.
Somewhere Far Beyond (1992) Nightfall In Middle Earth (1998) Live (2003) A Twist In The Myth (2006) At The Edge Of Time (2010)
Néanmoins, il ne faudra pas négliger le fait que le Guardian a plus de 30 ans de carrière. Cette longévité a été l’occasion de nombreuses évolutions, comme tu pourras le voir ici.
Le power-metal des origines
On retiendra deux éléments fondamentaux avec Blind Guardian. Le médiéval fantastique a toujours été présent dans leurs textes et dans leurs visuels, et ils ont mené cet imaginaire comme peu de groupes de metal l’ont fait. Leur logo à lui tout seul te plonge d’ores et déjà dans un univers. En revanche, musicalement parlant, le groupe a connu une évolution considérable. Dans une approche schématique de leur histoire, je dégagerais trois périodes. À leur débuts, ils faisaient dans un heavy-metal plutôt traditionnel, à l’image de « Valhalla », dans Follow The Blind (1989).
Tous les codes sont là pour en faire un hymne. On trouve un refrain obsédant, que le public peut reprendre en chœur, un rythme enlevé… Mais tu me demanderas « Mais le Moyen Âge, dans tout ça ? ». La chanson s’appelle « Valhalla », qui fait référence, comme tu le sais, au Royaume des Morts dans la mythologie scandinave.
Les sonorités médiévales
Tu trouveras peut-être ça un peu léger pour parler de Moyen Âge dans le heavy-metal, et tu auras raison. Par la suite, le groupe va évoluer, et s’affranchir du modèle des « grands frères » de Helloween. Si la formation de base va rester strictement la même, la musique va se complexifier. Elle va surtout emprunter des sonorités, des rythmiques et des arrangements à l’univers musical médiéval. Et le groupe va pousser l’expérience au point de devenir unique dans l’univers metal. Cette tendance atteint son sommet avec Nightfall In The Middle Earth (1998) et A Night At The Opera (2002).
La grandiloquence du médiéval fantastique
Par la suite, le groupe allemand va connaître une nouvelle évolution. À force de complexité, Blind Guardian va se rapprocher du metal symphonique. Cela ne veut pas dire qu’il va complètement tourner le dos aux sonorités médiévales qui ont fait son succès. Il existe un adjectif qui peut être repris sur l’ensemble de leur discographie : épique. Il est donc relativement logique, au vu de leur succès, qu’ils décident de renforcer cet aspect. On peut le remarquer en écoutant un titre comme « The Ninth Wave » sur Beyond The Red Mirror (2015). Sur cet album, Blind Guardian se fend d’un véritable orchestre pour l’accompagner. Et la grandiloquence, le grand spectacle déjà présents dans les précédents albums est renforcé.
Pour le dernier album en date, le groupe se rebaptise Blind Guardian Twilight Orchestra. Cette fois, il réunit un orchestre complet et joue dans un registre beaucoup plus symphonique. Intitulé Legacy Of The Dark Lands, et inspiré de Markus Heitz, auteur de fantasy allemand (qui a écrit notamment la série Les Nains), l’album surprend par sa différence.
Ici, tu n’entendras pas de riffs de guitare ou de rythmiques de batterie endiablées. Ce qui prévaut, c’est l’orchestre, et le chant.
Les inspirations médiévales et Renaissance du groupe n’ont pas complètement disparu, mais si c’est ce que tu cherches aujourd’hui, tu risques d’être un peu déçu(e).
La scène folk-metal, nouveau paradigme de l’imaginaire médiéval ?
Je parle ici d’une scène qui a fait une apparition tardive, dans le courant des années 1990. Il faudra encore attendre autour de 2010 pour que sa popularité atteigne vraiment des sommets. Dans les années 90, si des groupes comme Extremo ou Finntroll existaient, ils faisaient plutôt figure de curiosité. Ce n’est qu’après que le genre a fait des émules, au point de s’imposer à l’ensemble du public metal.
Sans renier leurs liens avec le metal, arrivent même à se détacher de l’orchestration habituelle. Ile ne jouent plus qu’avec des instruments acoustiques. On retiendra dans le genre, les Allemands de Corvus Corax, mais surtout les Norvégiens de Wardruna. Ces derniers ont participé à la musique de la série Vikings, ce qui leur a valu un succès mondial.
Chère lectrice, cher lecteur, l’aspect folk te semblera ici plutôt évident, ainsi que l’univers médiéval auquel il renvoie. Mais tu auras sans doute plus de mal à trouver la dimension fantastique et surtout metal. Il faut comprendre que les mythes et légendes traversent de nombreux sous-genres de cette musique. À ce titre, considérer le medieval-metal comme un genre en soi tient presque du contresens. Si les membres de Wardruna viennent du black-metal (Gaahl notamment, a été chanteur de Gorgoroth), Blind Guardian vient du heavy-metal, In Extremo vient du punk, Eluveitie vient du death-metal…
Le cas Eluveitie : un groupe de folk-metal complètement folk et complètement metal
Eluveitie réussit une prouesse. Il y a des accents de metal dans de la musique folk, ou des accents folk dans la musique metal. C’est qu’on trouve dans les autres groupes cités. Ce groupe suisse a réussi à être complètement dans les deux genres musicaux. Cet équilibre lui vaut un franc succès auprès des deux publics. En 2017, je les ai vus deux fois à un mois d’intervalle : une première fois au Summer Breeze, et une seconde fois au festival Cidre et Dragon. Sur ce dernier, la foule était moins nombreuse, mais tout aussi déchaînée, voire plus parce qu’ils étaient têtes d’affiche, et dans les deux cas, il a plu. Si tu ne connais pas, tu peux regarder ce concert du Summer Breeze 2017. Si tu connais aussi, d’ailleurs.
Tu es peut-être familier(e) de ce qu’on appelle le death-metal mélodique, notamment la scène suédoise (At The Gates, Dark Tranquillity, In Flames à leurs débuts…). Si c’est le cas, tu auras reconnu ces influences dans la musique d’Eluveitie. Mais à cela s’ajoute des instruments acoustiques, et plutôt traditionnels : mandoline, flûte irlandaise, violon, cornemuse, vielle à roue…
Le groupe compte pas moins de neuf membres. Si les bandes ne sont pas absentes en concert, on en trouve beaucoup moins que chez les groupes de metal symphonique Autrement dit, l’écart entre ce que tu entends sur album et ce que tu entends en live est très faible, ce qui rajoute en authenticité.
Alors tu te demanderas peut-être dans quelle mesure on peut considérer qu’Eluveitie fait dans le médiéval fantastique. Certes, Blind Guardian est plus marqué, mais Eluveitie puise largement dans le folklore celtique, au point de chanter dans d’anciennes langues gauloises. Quant à leurs textes, inspirés de la mythologie celtique, ils ont toute leur place dans le médiéval fantastique.
Le metal, un terreau fertile pour l’imaginaire
Il n’est pas difficile d’expliquer pourquoi le metal s’est ainsi saisi d’un imaginaire aussi fort que le médiéval fantastique. Ce n’est pas seulement un défouloir mais aussi un moyen d’évasion. En outre, on trouve tout une fascination pour le paganisme, l’ésotérisme et les contes et légendes. Ces thèmes s’inscrivent à la fois en rupture avec la vie quotidienne et avec un certain ordre social établi. Ainsi, le metal est à la fois une contre-culture et un terrain propice à l’imaginaire.
Si tu souhaites que j’approfondisse sur l’imaginaire en tant que contre-culture, cela pourra faire l’objet d’un nouvel article. En attendant, je crois que je suis loin d’avoir épuisé le sujet de l’imaginaire dans le metal. C’est que le médiéval fantastique en est un parmi d’autres. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur les univers de science-fiction (Ayreon, Devin Townsend…), l’imaginaire guerrier (Sabaton), les traditions tribales (Sepultura…). Aussi, si tu vois un autre imaginaire qui mériterait d’être abordé dans le metal, n’hésite pas à en faire part dans les commentaires.
Prochainement, d’autres articles vont suivre. N’hésite pas à consulter régulièrement la rubrique Actu du site ou sa page d’accueil
Pour en savoir plus sur les groupes présentés, voici leurs sites officiels :
— Blind Guardian : https://www.blind-guardian.com/ ;
— In Extremo, version allemande : https://www.inextremo.de/de/
et en anglais : https://www.inextremo.de/en/ ;
— Eluveitie : http://www.eluveitie.ch/.