Final Fantasy IX, un RPG steampunk et un hommage à la franchise

Cette semaine, chère lectrice, cher lecteur, je vais te parler d’un jeu vidéo. Même si je ne joue pas beaucoup, il fallait bien que j’y vienne un jour. Si tu as moins de quarante ans, tu connais la saga Final Fantasy au moins de nom. Et peut-être as-tu joué à l’un d’eux (ou à plusieurs, tant qu’à faire). À titre personnel, j’ai une affection spéciale pour Final Fantasy IX. Bien entendu, je ne détiens pas la science infuse, et c’est juste une préférence personnelle. Néanmoins, l’esthétique des Temps modernes, ce monde de machinerie qu’un Jules Verne ne renierait pas, a retenu mon attention. Les puristes me diront que Final Fantasy IX n’est pas steampunk, puisqu’on fait référence aux Temps Modernes, et non à la fin du XIXe siècle.
Alors admettons, les costumes, les décors, évoquent plutôt la période entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Mais que dire de ces machines volantes, de cette ville aérienne fortifiée ? Sommes-nous vraiment si éloignés de l’esprit général du steampunk ?

Tu me diras que ce n’est pas le premier épisode de la saga où on voit ce genre de mélange, qu’on le trouve déjà dans Final Fantasy VI. Et tu auras raison, mais selon moi, le neuvième volet de la saga a porté cette dimension steampunk à un niveau supérieur. Et cela passe notamment par l’esthétique du jeu et les possibilités techniques qu’offre la PlayStation, première du nom. Avant d’en venir à Final Fantasy IX, je me dois de contextualiser par rapport au genre de jeu concerné.
Au-delà du steampunk, l’uchronie, imaginaire récurrent des RPG japonais
Le RPG (pour Role Playing Game) est un genre de jeu qui a ses codes, son univers, ses poncifs, et sa propre logique. Ceux-ci sont d’ailleurs présentés non sans humour sur FFDream. On trouve entre autres la question du rapport à la technologie et à la magie (ou ce qui s’y apparente) des différentes civilisations. Dans Final Fantasy VI, l’Empire est une superpuissance technologique qui convoite la maîtrise de la magie. À l’extrême opposé de ces puissances technologiques, on trouve des villages paisibles, proches de la nature, menant une vie simple et heureuse. Et on retrouve ce genre de lieu dans Final Fantasy VII, pourtant considéré comme le volet le plus cyberpunk de la saga.
Habituellement, on associe la technologie à une pensée plutôt rationaliste. On voit mal cette dernière cohabiter avec la vision du monde laissant une place à la magie. Dans un monde uchronique (autrement dit, situé à une époque qui n’existe pas) ce genre de confrontation est possible. C’est sans doute pour cela que les RPG japonais en usent et en abusent.

La saga des Star Ocean, par exemple, à l’univers space opera, confronte des mondes aux stades de développement technologiques différents. C’est ainsi qu’on peut voir dans la même équipe un personnage se battant à l’épée, tandis qu’un autre se bat au blaster.
Présenté ainsi, l’univers de FFIX ne semble pas si nouveau. Et pourtant, plusieurs éléments font la différence, avec ses prédécesseurs, et avec la concurrence.
La puissance de la Playstation, mise au service de l’imaginaire
Final Fantasy VII, point de bascule technologique, et recherche graphique
Les premiers Final Fantasy avaient tous été distribués pour Nintendo. Les trois premiers, uniquement distribués au Japon, étaient sur Famicom (le nom japonais de la NES). Les trois suivants, en plus du Japon, ont connu une exploitation en Amérique du Nord. Si bien qu’il y a eu un temps trois épisodes qui manquaient, et que Final Fantasy VI, par exemple, a été commercialisé aux États-Unis comme Final Fantasy III.

L’apparition des consoles 32 bits, et le duel au sommet entre Sega et Sony (que ce dernier remportera haut la main) change la donne sur l’expérience de jeu dans son ensemble. Celle-ci, avec le développement de la 3D, promettait d’être plus spectaculaire, plus immersive, bref, plus vivante. En outre, le passage de la cartouche au CD offrait la possibilité de démultiplier la durée de vie d’un jeu. Celui-ci allait pouvoir se compter en dizaines d’heures. Mais surtout, il allait pouvoir s’y ajouter des cinématiques, grand bouleversement par rapport à la console 16 bits. Et c’est ainsi que quiconque a ne serait-ce que commencé à jouer à Final Fantasy VII a vu ça.
Évidemment, si tu es habitué(e) à la Xbox 360 ou à la PS4, ça pique un peu les yeux. Mais pour replacer cette séquence introductive dans le contexte, l’introduction de Final Fantasy VI, c’était ça :
Final Fantasy VII s’annonce comme un jeu épique avec une histoire qu’on suit dans la durée, telle un roman. L’intrigue est tour à tour drôle, trépidante, ou tragique. Et les cinématiques contribuent à rapprocher l’expérience de jeu d’un film. D’un film qui durerait plusieurs dizaines d’heures et dont tu contrôlerais les protagonistes.
Final Fantasy VIII, la mise à profit de la puissance graphique de la PlayStation
Quand vient le moment de donner un successeur à ce l’un des plus gros cartons du genre, la pression est grande. Une des limites de FFVII résidait dans ses graphismes perfectibles. Dans l’opus suivant, les développeurs de Squaresoft ont donc mis les bouchées doubles. Et l’introduction du jeu promet.
On évolue dans un univers plus proche de notre monde, même si l’introduction n’en montre pas grand-chose. Il n’est ni médiéval fantastique, ni cyberpunk. Les personnages apparaissent comme proches du joueur. Et peut-être le sont-ils trop. À l’instar de la plupart des RPG japonais, Final Fantasy VIII puisait largement dans l’imaginaire du shônen. Ce genre de manga met en scène des héros généralement adolescents, dont les préoccupations font écho à celles du lecteur. Néanmoins, on trouve toujours une dimension héroïque qui guette. Comme évoqué dans cet article, dans le shônen, des situations banales peuvent devenir complètement surréalistes.

En général, ces manga ont un style graphique qui va avec l’esprit général (One Piece, Shaman King, Fairy Tail…). Mais ici, ces personnages photoréalistes sont trop lisses, au point de paraître inconsistants pour le joueur. En outre, ce n’est que mon avis, mais on a du mal à s’y attacher. Les émotions ne transparaissent pas vraiment, et l’univers, trop réaliste, perd une certaine part de rêve qu’on aimait dans les épisodes précédents.
Final Fantasy IX, le pas de côté par rapport au réalisme
Les développeurs de Squaresoft son désormais au clair sur ce qu’ils peuvent tirer de la PlayStation. Ils se concentrent sur ce petit supplément d’âme qui manquait à l’opus précédent. Si les graphismes restent très beaux, ici, la rupture avec le monde réel est pleinement assumée. On s’éloigne de l’univers contemporain pour se rapprocher des Temps Modernes. Un élément toutefois tranche avec cette époque : l’omniprésence de machines volantes.
À travers tout l’imaginaire que portent ces images, il est difficile de ne pas considérer que Final Fantasy IX est un épisode steampunk, même s’il s’inspire davantage de Léonard de Vinci que de Jules Verne.
Outre la qualité graphique sensiblement supérieure à ce qu’elle était deux épisodes plus tôt, l’introduction est découpée en plusieurs cinématiques. et a le mérite de présenter pas moins de trois personnages joueurs. Sachant que le jeu en compte huit.

Tant du point de vue de l’univers que des personnages, ce volet marque une rupture avec le précédent. S’ils se ressemblent d’un point de vue graphique, Final Fantasy IX assume un visuel plus enfantin. On le voit dans l’univers présenté (qui ne détonnerait pas chez Walt Disney), mais aussi dans le character design, où les personnages ont des proportions plus « cartoonesques ». Et pourtant, comme nous allons le voir, cette esthétique rend surtout hommage aux RPG japonais des origines. Et ceux-ci, à l’instar de Final Fantasy VI, avaient une grande part de noirceur.
Sous son apparence enfantine, Final Fantasy IX est très sombre, comme ses prédécesseurs
Parmi les éléments susceptibles de séduire des enfants, on trouve des animaux anthropomorphes. Les mogs, bien sûr, sont présents (tout comme les chocobos, ces créatures kawaii sont une marque de fabrique de la franchise). Mais surtout, parmi les cités voisines d’Alexandrie, où commence le jeu, on trouve Bloumecia, capitale du royaume des rats.

Freya est une guerrière de ce royaume. Elle incarne tout le paradoxe de Final Fantasy IX. L’idée de rats anthropomorphes aurait pu laisser croire à une certaine candeur dans le jeu. Et pourtant, on ne saurait en être plus loin. Taciturne, redoutable combattante, Freya a beaucoup en commun avec Vincent, dans Final Fantasy VII. En outre, le massacre de Bloumecia est un des moments tragiques du jeu, et renforce le caractère torturé du personnage.
C’est d’ailleurs ce ton général qui est donné au jeu. Les personnages, surtout les plus insouciants, vont être mis à rude épreuve. Des révélations douloureuses les attendent. J’irais même plus loin, plus les personnages sont naïfs ou innocents, plus ils en prennent plein la face. On atteint des sommets avec Eiko, qui est une petite fille insouciante de six ans et… la dernière survivante de son peuple. Et que dire des origines troubles de Djidane et de Bibi ?

Plus qu’une volonté de créer un univers enfantin, il s’agit surtout de rendre hommage au RPG japonais classique. Dans celui-ci, pour des raisons techniques, on montrait les personnages en verion chibi (petits avec une grosse tête). Il aurait été impossible, sur une NES, de retranscrire le character design classieux de Yoshitaka Amano. Les infographies auront donc reproduit à grands traits ces personnages sous une forme facilement jouable. Au-delà d’être mignon, cela devait être jouable, et montrer l’essentiel de ces univers, par ailleurs très riches, et non moins steampunk.
Final Fantasy IX et son univers steampunk, une vision de la technologie
Car Final Fantasy VI, et beaucoup d’autres, comme je l’évoquais précédemment, travaillaient à l’économie de moyens sur le plan graphique, pour se concentrer sur la jouabilité. On trouvait déjà le croisement des univers médiévaux et futuristes, mais leur représentation était largement simplifiée. Donc à la question, Final Fantasy IX est-il le volet le plus steampunk de la saga ?, la réponse est : tout dépend où on veut voir le steampunk.

Si on se base uniquement sur le genre de machines qui sont représentées, ce volet n’a clairement pas le monopole. J’ai déjà évoqué Final Fantasy VI, mais je pourrais parler aussi de Final Fantasy IV, qui démarre en fanfare sur un navire volant. Et je n’ai pas parlé des épisodes suivants, sur lesquels il y aurait beaucoup de choses à dire aussi.
Comme évoqué précédemment, on trouve une vision critique de la technologie dans la plupart de ces jeux. Elle y apparaît comme un instrument de pouvoir et de domination. Mais à y regarder de plus près, on peut dire la même chose de la magie : celui qui la détient exerce un pouvoir sur les autres. Dans un univers comme Final Fantasy VII, la magie et la technologie avaient tendance à se confondre. Dans Final Fantasy IX, il en va de même, avec la brume, source d’énergie, corne d’abondance qui renvoie immanquablement à la vapeur du steampunk. De nombreux mystères planent autour de l’origine de la brume, des mystères qui, bien sûr, seront révélés au cours du jeu.
Si on réfléchit à cette vision des choses, dans l’imaginaire steampunk habituel, la technologie est objet à la fois de fascination et de questionnement. Face au pouvoir de destruction qu’elle offre et aux convoitises qu’elle suscite, elle inquiète aussi beaucoup. De ce point de vue, dirons-nous, Final Fantasy IX n’est pas vraiment nouveau.
Final Fantasy IX et son univers steampunk, une esthétique
Mais alors, qu’est-ce que Final Fantasy IX peut avoir de vraiment plus steampunk que les autres opus de la franchise ? La PlayStation brillait par ses qualités graphiques, ce qui lui a permis, entre autres, de détailler les personnages, les décors… À l’époque de la Super NES, les capacités des consoles étaient plus limitées. Sauf à vraiment grossir le trait, il était donc difficile de faire la différence entre une époque et une autre. Sur la PlayStation, il est devenu possible de réaliser des costumes et des décors qui évoquent quelque chose au joueur.
Mais qu’est-ce que cela évoque, au juste ? Si on regarde les costumes des personnage, on voit que Djidane porte un gilet et des manchettes à jabots qui rappellent le XVIIIe siècle. De même, la princesse Grenat porte une chemise à lacets et à manches bouffantes telles qu’on en portait à la même époque. Steiner, lui, porte une armure qui n’est pas sans rappeler celles du Moyen Âge tardif ou celles des conquistadores espagnols. Tout cela ne renvoie pas vraiment au XIXe siècle auquel le steampunk nous a habitués, tu me diras. Et tu as raison. Néanmoins, le croisement entre cette esthétique « historique » et la machinerie, la vapeur, le cuivre continuent immanquablement de nous évoquer cet imaginaire. En outre, ce monde plein d’exploration de royaumes oubliés et de civilisations disparues, évoque immanquablement à l’univers de Jules Verne, dont le steampunk se revendique, comme je l’évoque dans un article précédent.
Au-delà du steampunk, l’univers rétrofuturiste de Final Fantasy IX marque une bascule
Il y a eu certains épisodes de Final Fantasy qu’il était éventuellement possible de confondre entre eux. Celui-ci n’en fait pas partie. Certes, Final Fantasy IX n’est pas l’épisode le plus steampunk, mais c’est l’un de ceux dont l’univers, le visuel, est le plus travaillé. C’était le dernier jeu de la franchise sur PlayStation (Final Fantasy X sortira sur PS2 un an plus tard). Dans ce sens, il a poussé la console au maximum de ses capacités. Mais c’était aussi la fin d’une époque, pour laquelle ce jeu sonne comme un dernier hommage au RPG japonais des origines.
Comme sur les premiers Final Fantasy, le système de combat regroupe quatre personnages (alors qu’il était limité à trois sur les volets VII et VIII). On retrouve les cristaux, tels un hommage aux premiers volets de la franchise. Et surtout, c’est le dernier épisode dont la musique est intégralement écrite par Nobuo Uematsu. Et comme pour les épisodes précédents, il n’aura pas manqué de marquer les esprits. En tout cas, le thème introductif, qu’on croirait sorti de la Renaissance, me hante encore des années après.

On se retrouve donc avec le meilleur des deux mondes : la fraîcheur retrouvée des vieux RPG avec les capacités techniques de la PlayStation. Ce lien avec les jeux des origines se retrouve dans d’autres RPG sortis plus tardivement. La série des Tales of ou celle des Star Ocean en sont deux exemples.
J’espère que cet article te donnera envie de découvrir ou de redécouvrir Final Fantasy IX, si tu as la fibre steampunk. Dans le cas contraire, n’hésite pas à me recommander un jeu que tu aimerais me faire découvrir (si je ne le connais pas déjà).