Fondation, d’Isaac Asimov, manifeste du space-opera ?

Protagonistes de Fondation, manifeste du space-opera
De gauche à droite : Hari Seldon, le Mulet, et Arcadia « Arkady » Darell (illustrations : Michael Whelan)

Jusqu’ici, chère lectrice, cher lecteur, je n’avais pas trop parlé de science-fiction. Le précédent roman que j’ai chroniqué, L’Histoire sans fin, tournait autour de l’imaginaire en tant que tel, et il faut varier les plaisirs. Je vais peut-être te surprendre, mais je n’avais jamais lu Fondation avant l’été dernier. Je savais pourtant qui était Asimov, et j’étais conscient de son rôle dans la littérature de science-fiction. Et je savais qu’on pouvait voir dans le cycle de Fondation un véritable manifeste du space-opera. Si je passe beaucoup de temps à écrire, je ne lis pas tant que ça. En tout cas, je lis moins que je le voudrais. Reprenons, donc, je passe mon été au vert, dans ma Normandie natale. Et suivant l’actualité des films et séries à venir, je tombe sur ça :

La première chose que je vois, c’est qu’Apple s’est lancée à son tour dans la production de séries TV. Et celle-ci s’annonce spectaculaire. La seconde chose, c’est que je suis passé à côté d’une œuvre majeure de la littérature de science-fiction. La bonne nouvelle, c’est que la série étant prévue pour 2021, j’ai le temps de m’y mettre . Sans plus attendre, je passe dans la ville la plus proche, et m’achète en librairie le premier volume tant convoité.

À l’achat, je vois tout d’abord une couverture très alléchante. On s’attend à des aventures intersidérales, dans un futur très lointain, et on a raison ! Je vais donc commencer par décrire les trois premiers tomes de la série, ceux que j’ai lus, considérés comme la pièce maîtresse du cycle de Fondation.

Fondation (1951), début d’un mythe du space-opera

Fondation, premier tome d'un manifeste du space-opera
Fondation, Folio SF, Denoël, 2006 (illustration, Alain Brion)

Ce premier volume se distingue par son découpage particulier. Il compile une série de nouvelles, écrites par Asimov entre 1942 et 1950. L’histoire commence au 13e millénaire de l’ère galactique. Hari Seldon, mathématicien, est connu comme l’inventeur de la psychohistoire. Mélange de probabilités et de psychologie, cette discipline étudie et recense les futurs possibles. Et Seldon inquiète beaucoup depuis qu’il annonce des catastrophes en cascades. Il inquiète tellement que lui et Gaal Dornick, jeune mathématicien qu’il vient de recruter sont arrêtés sur ordre de l’Empereur. D’abord soupçonné de sédition, Seldon obtient gain de cause en annonçant l’effondrement prochain de l’Empire, suivi de quelque 30000 ans de chaos et de guerres incessantes.

Toutefois, il présente une solution pour écourter cet âge de ténèbres, désormais inéluctable, à un millénaire. Seldon veut rassembler une communauté de savants pour regrouper l’ensemble du savoir de la galaxie, et écouter l’âge des ténèbres. Il déclare vouloir constituer l’Encyclopedia Galactica, compilant tout le savoir de l’Empire avant son déclin.

Seldon et tous ceux qui le suivent sont bannis sur la planète Terminus. Jusqu’ici inhabitée par l’homme, pauvre en minerai, la planète deviendra le siège de la Fondation. La mémoire de Hari Seldon la hantera longtemps, tandis que d’autres protagonistes se succèderont. Au fil des décennies, la Fondation connaîtra différents âges. Et tandis que l’Empire s’effondre, Terminus va progressivement élargir son influence aux systèmes voisins. La Fondation semble invincible : tout se déroule selon les plans de Hari Seldon, pendant plusieurs siècles.

Terminus et la Fondation qui s’y trouve prospèrent, et entretiennent un semblant d’ordre, de paix et de prospérité entre deux « crises Seldon ».

Fondation et Empire (1952), les certitudes ébranlées

Fondation et Empire, second tome d'un manifeste du space-opera
Fondation et Empire, Folio SF, Denoël, 2006 (illustration : Alain Brion)

Ce second tome tourne autour de deux antagonistes différents de la Fondation. La première partie, Le Général, tourne autour de Bel Riose, un général de l’Empire à l’ambition débordante. Désireux de rétablir le contrôle impérial sur la Fondation, devenue selon lui trop indépendante, le général suscite la méfiance de l’Empereur. Cette histoire marque la fin annoncée de l’Empire galactique.

Mais c’est sans aucun doute le personnage du Mulet qui marque le plus les esprits. Dans cette partie, nous suivons Toran et Bayta Darell, deux jeunes époux fréquentant des milieux contestataires. Le maire de Terminus ayant obtenu un mandat héréditaire, la contestation va grandissante. Mais une menace que personne n’a vu venir surgit : le Mulet. Grand conquérant, puissant, et ambitieux, son apparence est un mystère, ainsi que sa capacité à mener ainsi des troupes aux quatre coins de la galaxie. Toran et Bayta recueillent le clown Magnifico, son bouffon, qui l’a fui, mais reste largement sous son emprise. On découvre progressivement la principale arme du Mulet, sa capacité à contraindre les esprits. L’inquiétude est grande dans la Fondation : Hari Seldon n’avait pas prévu la venue du Mulet. Après plusieurs siècles de conscience aveugle en l’avenir et dans les prophéties de Seldon, vient l’âge des incertitudes.

Seconde Fondation (1953), le récit d’une quête

Seconde Fondation, troisième tome d'un manifeste du space-opera
Seonde Fondation, Folio SF, Denoël, 2006 (illustration : Alain Brion)

Le titre de Fondation et Empire laissait un peu perplexe, dans la mesure où l’Empire disparaissait au cours du roman. Ici, en revanche, la Seconde Fondation constitue bel et bien le fil conducteur de ce roman. Celui-ci se divise en deux parties, La Quête du Mulet et la Quête de la Fondation.

Le Mulet a fini victorieux après une vaste campagne de conquêtes, mais a échoué à une chose : trouver la Seconde Fondation. Tout est dans le titre ou presque : un équipage est en service commandé pour trouver cette Seconde Fondation. Parmi les têtes pensantes de cette mission, on trouve un non-converti, c’est-à-dire quelqu’un qui n’est pas sous l’emprise du Mulet. Ce dernier lui a volontairement laissé les coudées franches pour pouvoir profiter pleinement de ses facultés intellectuelles. Mais ce pari se révélera extrêmement dangereux.

La partie suivante se déroule plusieurs décennies après la fin du règne du Mulet, et met en scène une jeune fille, Arcadia Darrell, dite Arkady, et son père. La Fondation a désormais connaissance des pouvoirs psychiques de la Seconde Fondation. Elle s’emploie à contrôler la trace de tout intrusion psychique parmi ses troupes. La Seconde Fondation inspire une grande méfiance, tandis que Kalgan, le monde dont le Mulet avait fait sa capitale, rêve de reconquérir Terminus. La jeune Arkady évolue dans cette situation hautement explosive, prise en tenaille entre la Seconde Fondation et Kalgan.

Fondation, au-delà d’un manifeste du space-opera,est un récit épique à très, très grande échelle

Isaac Asimov (1920-1992) (Source : Wikipedia)

On parle d’une série de romans publiés dans les années 1950, compilant eux-mêmes des nouvelles publiées dès le début des années 1940. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’acte fondateur du genre date de près d’un siècle plus tôt.

Bien avant Fondation, si on cherche un manifeste du genre, on trouve Star ou Psi de Cassiopée, de Charlemagne Ischir Defontenay, premier space-opera, publié en 1854. Edgar Rice Burroughs, également connu pour avoir créé le personnage de Tarzan, avait publié Une Princesse de Mars en 1917. C’était le premier roman mettant en scène John Carter, autre héros récurrent de l’écrivain.

Comme Edgar Rice Burroughs, Asimov avait publié les nouvelles qui constitueront Fondation dans une revue de science-fiction. Asimov commence son travail en 1942, au cœur de la Seconde Guerre Mondiale. De nombreuses avancées technologiques s’annoncent. Les recherches autour de l’énergie nucléaire préfigurent un âge atomique. Le début des missiles, suivi du premier vol supersonique habité, ouvre la porte du ciel à l’homme. Et bientôt, elle lui ouvrira celle de l’espace.

Cette période est marquée à la fois par de grands espoirs et de grandes inquiétudes. Point de civilisations extraterrestres, ce qu’Asimov met en scène, c’est nous, dans des milliers d’années. Il transpose son histoire à l’échelle d’une galaxie, et présente un immense Empire regroupant des milliers de mondes. Cette démesure donne aussi conscience à l’homme qu’il ne fait que passer dans l’Histoire. C’est ce qui rend Fondation fascinant, mais aussi un peu frustrant. Le véritable héros de cette histoire, c’est bien la Fondation elle-même. Son histoire s’étale sur plusieurs siècles, et met en jeu le sort d’une galaxie entière.

Réflexion autour de l’histoire et du devenir des civilisations

On pourrait trouver à redire sur certains discours autour de la technologie, notamment celui qui voudrait que la maîtrise de l’énergie nucléaire soit un passage obligé de l’humanité. Au-delà de ces considérations, il reste tout une réflexion sur la grande fragilité des civilisations, aussi puissantes qu’elles soient. Et le moins qu’on puisse dire, malgré les apparences, c’est que l’Amérique de cette époque en avait une conscience aiguë. À l’issue de la Seconde Guerre Mondiale, qui avait commencé vingt-et-un ans après la fin de la première, nombreux étaient ceux qui attendaient la troisième avec appréhension. En outre, les années 50 sont aussi marquées par la peur de l’holocauste atomique et de l’anéantissement. Mais dans le même temps, la civilisation occidentale traverse un âge de prospérité tel qu’il n’en avait jamais connu dans son histoire. Et les perspectives de progrès semblent n’avoir aucune limite.

Penser que l’humanité pourrait progresser sans fin était tentant. Mais la Seconde Guerre Mondiale avait apporté un constat terrifiant. La technologie et le progrès scientifique n’étaient pas le rempart contre la barbarie qu’on croyait. Au contraire, mise au service de la barbarie, ils pouvaient la pousser à des extrêmes inégalés. Ce dont Fondation se fait le manifeste, donc, au-delà du space-opera, c’est un certain regard sur l’avenir, et une responsabilité partagée des auteurs de science-fiction à réfléchir dessus.

La technique et l’esprit, les deux facettes de la Fondation, et celles du génie humain

Une des premières choses qu’on constate, c’est l’absence de psychologues parmi les scientifiques au sein de la Fondation. On comprendra assez vite que cela n’a rien d’un oubli, et que Hari Seldon comptait sur l’ignorance des habitants de Terminus quant aux implications de leurs actes. Seldon craignait que sachant ce qu’on attendait d’eux, cela fausse leur comportement.

Mais ce faisant, Terminus devient un lieu de prospérité et de paix dans une galaxie en proie au chaos. En outre, la planète assoit son pouvoir sur son voisinage grâce à sa supériorité technologique. Mais ce que le lecteur comprend avec la Seconde Fondation, c’est que le progrès humain, au-delà de la technique, passe aussi par l’esprit. Les membres de la Seconde Fondation sont de fins psychologues, des télépathes, et de redoutables manipulateurs. Au cours des romans, le lecteur comprend vite que même des technologies de pointe ne peuvent rien contre cela.

Fondation, au-delà d’un manifeste du space opera, mène une réflexion sur l’évolution humaine en général

Tu l’auras compris, chère lectrice, cher lecteur, si Fondation a un caractère de manifeste, limiter celui-ci au space-opera serait réducteur. Asimov était réellement convaincu que l’avenir de l’homme était dans l’espace. Qu’il ait eu raison ou tort, il reste une réflexion extrêmement riche sur le devenir de l’homme, de nos civilisations. Il est ironique que Hari Seldon meure aussi rapidement, vu l’importance de son oeuvre pour la suite, vu son caractère prophétique. Seldon a modélisé l’évolution de la galaxie sur des milliers d’années. Et sur tout le cycle de Fondation, son ombre plane.

Les individus sont les jouets de mécanismes qui les dépassent. Même l’Empereur est agi par son statut, avec des implications qu’il n’arrive pas à anticiper. Et pourtant, Seldon arrive, parmi tous les avenirs possibles, à en dégager un susceptible de préserver un semblant d’ordre et de paix.

Asimov était un scientifique, avant d’être un écrivain. Hari Seldon est un peu son alter ego. Il n’agit pas par intérêt personnel mais bien au nom de l’intérêt commun. C’est la grande différence avec les castes qui vont se succéder à la tête de la Fondation, et que les jeux de pouvoir vont rattraper.

Pour conclure

Tu l’auras compris, chère lectrice, cher lecteur, je te recommande cette lecture. Fondation reste un manifeste au sein de la science-fiction, même si comme tu l’as vu, ce n’est pas le premier space-opera. À l’époque où nous nous posons toutes ces questions sur nous-mêmes, ce genre de lecture fait du bien. Bien sûr, il ne faut pas prendre ce cycle pour parole d’Évangile, même si certains voient en Asimov un prophète. Mais parmi les attentes du lecteur de science-fiction, on trouve une réflexion sur l’avenir, et sur ce qu’il peut avoir de souhaitable, ou au contraire d’effrayant. À toi de voir si ce sont des vraies réponses, ou des éléments de réflexion, mais en tout cas, cela mérite qu’on se penche dessus.

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