Récit d’avenir : la science-fiction à l’épreuve du réel

En écrivant sur le cycle de Fondation, monument de la science-fiction, j’y voyais le récit d’un avenir possible de l’humanité. Je ne vais pas m’étendre sur cette oeuvre phare d’Isaac Asimov, tu pourras aller lire l’article. Je retiendrai seulement trois points précis. Asimov imaginait un futur très largement axé sur la high-tech, l’homme y régnant en maître de la galaxie. Et bien sûr, l’exploration spatiale y serait banale. Toutefois, un petit détail interroge le lecteur aujourd’hui. Dans ce vaste univers aux millions de mondes, on ne trouve pas d’autre espèce dominante que l’homme.
Aujourd’hui, l’anthropocentrisme de Fondation saute aux yeux. Dans La Guerre des Mondes, H.G. Wells avait d’ores et déjà envisagé la possibilité qu’il existe d’autres espèces que l’homme dans l’univers. Ce qu’avançait Wells, c’était aussi le fait que ces formes de vies pouvaient être radicalement différentes de la nôtre. Aussi visionnaire que fût Asimov, nous devons garder à l’esprit que personne ne sait à quoi ressemblera l’avenir.
Quoi qu’on puisse dire de ce monument de la science-fiction, cela reste un récit d’avenir parmi d’autres. Avant lui, il existait déjà plusieurs romans d’anticipation. Certains étaient plus ou moins dystopiques (Le Meilleur des Mondes, d’Aldous Huxley, 1984, de George Orwell…). L’avenir possible décrit par certains romans étaient étaient même franchement effrayants.
Le récit d’avenir : un équilibre entre grandeur et décadence
Les récits d’anticipation ont fleuri dans les années 50, en pleine Guerre Froide, ce qui n’a rien de surprenant. L’humanité ressortait traumatisée de la Seconde Guerre Mondiale et son cortège d’atrocités. Les camps de concentration, la bombe atomique avaient largement écorné le mythe de la science salut de l’humanité. Et pourtant, la guerre a aussi occasionné des innovations technologiques aux répercussions positives. Qui, par exemple, regretterait l’invention de la pénicilline aujourd’hui ?
Il en ressort un rapport pour le moins ambivalent à la technologie. Si elle construit à la fois le progrès de l’humanité, elle peut aussi la conduire à sa perte. Au cours des années 50, l’humanité a traversé un âge de prospérité économique comme elle n’en avait jamais connue auparavant. En parallèle, le début de la guerre froide marque le développement d’un armement nucléaire. Celui-ci, capable d’anéantir plusieurs fois l’humanité, laisse planer la possible apocalypse.
Post-apocalyptique : après la catastrophe, reconquérir un avenir volé
Dans les années 50-60, on envisageait la destruction de l’humanité. Docteur Folamour (Dr Strangelove, Stanley Kubrick, 1964) envisage un point final pour l’espèce humaine. Mais on troue aussi des films qui évoquent le monde après le désastre. J’en citerai deux : Le Monde, la Chair et le Diable (The World, the Flesh and the Devil, Ranald MacDougall, 1959) et La Jetée (Chris Marker, 1966). Le premier montre les affrontements entre les survivants. Le second présente un monde pénitentiaire dans lequel s’est réfugiée l’humanité.

Rassure-toi, j’y viens au post-apocalyptique. Mais avant, j’attire ton attention sur le paradoxe de ce genre. Malgré un monde dévasté par une catastrophe, il y a une forme d’optimisme dans ces récits. Le fait que ce monde ait des survivants signifie qu’il reste un avenir possible, même dans un monde dévasté. La catastrophe est derrière nous, désormais il faut se battre pour sa vie dans le monde qu’elle a construit.

Les protagonistes se découvrent des causes à défendre, et des personnes à protéger. Le premier Mad Max nous présente un homme qui va tout perdre dans un monde en proie à la violence. Mais dans le second, il prend fait et cause pour une communauté cherchant à reconstruire un semblant de civilisation. Dans Ken le Survivant, Kenshiro a un arc narratif similaire. Il a des compagnons sur qui il veille, et eux-mêmes ont un certain nombre d’enjeux. Lynn, par exemple, dont l’innocence contraste avec l’extrême violence de ce monde, va prendre beaucoup d’importance au fil du récit.
La catastrophe n’est pas l’objet du récit en tant que tel, ce qui compte, ce sont les possibles qu’elle ouvre sur l’avenir
Certains héros ont une grâce mystique dès le début. Le Livre d’Eli (The Book of Eli, Albert et Allen Hughes, 2010) présente un héros solitaire, qui ressemble un peu à Kenshiro. Joué par Denzel Washington, Eli est un aventurier solitaire, imperturbable, et un redoutable combattant. C’est en fait une antithèse de Mad Max. Héros au nom biblique, Eli détient le dernier exemplaire de la Bible. Sa mission est de la porter dans un refuge au large de la Californie, où de nouveaux exemplaires pourront être imprimés.

Plus récemment, l’écrivain sud-africain Deon Meyer a publié L’Année du Lion (Koors, 2016). Willem Storm et son fils Nico fondent une communauté dans un monde où un virus a quasiment anéanti l’espèce humaine. Ils chechent à reconquérir un avenir volé. Deon Meyer imagine à quoi pourrait ressembler une société sud-africaine où tout le monde repartirait sur un pied d’égalité. L’Afrique du Sud n’a pas besoin d’un contexte post-apocalyptique pour être ravagée par la criminalité, et surtout traversée par une violence sociale terrible.
Le monde de L’Année du Lion est violent, mais ce n’est pas l’essentiel du roman. Les tensions au sein de la communauté d’Amanzi nous tiennent bien plus en haleine. Leur résolution, le rétablissement d’un État de droit, sont des enjeux narratifs plus complexes. Malgré le contexte de fin du monde, L’Année du Lion est plutôt optimiste. En effet, au sein de cette communauté de quelques milliers d’âmes, tout le monde compte. Malgré un monde déserté par l’homme, les survivants y sont paradoxalement plus heureux qu’ils ne l’étaient dans l’ancien monde.
Cyberpunk, artificialisation et hyper-contrôle du monde
C’est là tout le paradoxe de l’effondrement de notre civilisation. Ce n’est pas une mauvaise nouvelle pour tout le monde. Pour beaucoup de gens (dont moi-même), certains récits d’avenir sont beaucoup plus effrayants que ledit effondrement. Quand j’ai vu Blade Runner (Ridley Scott, 1982) pour la première fois, j’avais quinze ans, et ce film m’a fasciné. Ridley Scott reprenait les codes narratifs du film noir, mais aussi l’esthétique. On démarre donc dans une atmosphère crépusculaire qui ne nous quitte pas de tout le film. En le revoyant, j’ai compris ce qu’il y avait derrière ce Los Angeles tentaculaire, où on ne voit jamais la lumière du jour, et où les parcs et forêts n’existaient plus.

La biotechnologie régit le monde, et les formes de vies artificielles constituent la norme. La suite, Blade Runner 2049 (Denis Villeneuve, 2017), nous présente toute la désolation de ce monde, hors de Los Angeles. La Tyrell Corporation est une grande firme de bio-ingénierie qui règne en maître sur ce monde. En dehors de ce qui relève de ses intérêts, plus rien n’existe ou presque. On ne peut pas parler d’effondrement (la civilisation existe toujours). Et pourtant, Blade Runner a quelque chose d’apocalyptique : l’homme y a détruit tout ce qui n’était pas lui. Malgré toute la beauté visuelle typique des univers de science-fiction, le récit que Blade Runner nous dresse de l’avenir est effrayant.
Biotechnologies, intelligence artificielle, immortalités et autres vieilles lunes du transhumanisme
En effet, ce monde glaçant nous montre le devenir-machine du vivant, ou le devenir-vivant de la machine. On y trouve des réplicants, des androïdes, produits de la bio-ingénierie. Or, ceux-ci ne sont ni plus ni moins que des humains artificiels. Relégués aux tâches les plus ingrates, malgré des capacités physiques et intellectuelles hors-normes, leur condition pose de vraies questions éthiques. Peut-on réellement tolérer de tels traitements envers des humains, même artificiels ?
Si au début, Deckard (Harrison Ford) est sans états d’âmes, il tombe ensuite amoureux d’une réplicante, Rachel (Sean Young). À partir de là, tout bascule. La frontière entre l’homme et la machine devient floue et un sentiment d’empathie s’installe. C’est un topos qu’on peut retrouver dans l’autre sens.
C’est le cas par exemple dans Chappie, de Neill Blomkamp (2015), où une intelligence artificielle implémente un robot humanoïde, conçu pour la police. À l’image d’un nouveau-né qui s’éveille au monde, Chappie touche le spectateur, parce qu’il incarne une certaine naïveté, une innocence. Il ne comprend pas qu’on ait peur de lui ou qu’on le déteste, et il va en faire la cruelle expérience. On est donc face à une situation paradoxale, où la machine développe une intelligence comparable, voire supérieure à l’homme. Peut-on dès lors revendiquer des droits sur ladite machine, n’est-il pas logique de la laisser prendre son envol ?

L’autre volet du transhumanisme : quand la machine prend possession de l’homme
Il existe beaucoup d’inquiétudes autour du développement de l’intelligence artificielle. Parmi elles, il y a la possibilité qu’elle puisse prendre le contrôle de l’humanité. C’est ce qui a nourri l’histoire de Terminator. Skynet, un super-ordinateur, a pris le contrôle des machines et provoqué le Jugement Dernier. Par la suite, il a envoyé des armées de robots pour traquer et supprimer les survivants de l’apocalypse. Aujourd’hui, la réalité rattrape la science-fiction et l’usage militaire des robots profile un récit inquiétant pour l’avenir. C’est ainsi qu’on voit se multiplier les drones de combat, les missiles guidés et autres armes de pointes. Nous en revenons donc à l’idée de départ : un développement technologique à mauvais escient peut donner à l’humanité les outils de sa propre destruction.

Certes, dans la science-fiction, la créature échappant au contrôle de son maître est un récit courant, et l’avenir nous en réserve d’autres. Dans Doctor Who, les Cybermen émanent d’un homme malade, qui n’accepte pas sa mort prochaine. Certes, il devient immortel, mais à un prix terrible : il cesse d’être humain pour devenir une machine à son tour. Dans Doctor Who, toujours, les Daleks sont une création de laboratoire. Ils sont taillés pour la survie, au prix d’une transformation perpétuelle en autre chose, et de l’assimilation ou de l’extermination de tout ce qu’ils approchent.
La technologie, vouée à servir ou à asservir ?
Dans la science-fiction, on trouve régulièrement un récit dystopique sur l’avenir que la technologie nous réserve. Parmi les écrivains en vogue, Alain Damasio dresse un portrait très critique de la société du contrôle et du rôle que la technologie y joue. Cela passe par une société de la surveillance de masse et un environnement contrôlé (La Zone du Dehors, 1996). Cela peut aussi être la privatisation de l’espace public et la peur des formes de vie incontrôlables (Les Furtifs, 2019). Très critique, Damasio voit le salut de l’homme dans sa capacité à s’affranchir de la machine. En parallèle, il faut aussi, selon lui, sortir de la culture du contrôle, malgré tous les dangers que cela comporte.
Damasio voit dans le « techno-cocon » où l’homme cherche à s’enfermer, une tentation forte (surtout pour les dominants). Mais celle-ci risque de se faire au prix d’une déconnexion du vivant et de l’autre.
Dans Les Furtifs, on éprouve la nette impression d’une vie réglée par ledit techno-cocon. Et aux commandes de celui-ci, on trouve des multinationales qui se sont emparées de nos vies. Cela nous donne déjà un élément de réponse quant au rôle des machines. Servir ou asservir ? Cela dépend de quel côté de l’échelle sociale tu te trouves, chère lectrice, cher lecteur.
Dans un monde d’immortels, comme dans la série Altered Carbon, le corps dans lequel on se réincarne dépend de notre classe sociale. Dans Time Out (Andrew Niccol, 2011), le temps est devenu une devise. Les plus riches sont virtuellement immortels, et les plus pauvres sont les plus susceptibles de mourir. Sans surprise, ce qui ressort de ces histoires, c’est que le progrès technologique profite surtout aux riches.
Entre avertissement et récit d’un avenir désirable, que faire de la science-fiction ?

Nous sommes dans des représentations extrêmes de ce à quoi le progrès technologique peut conduire. Si certaines œuvres effraient par leur côté visionnaire, d’autres sont vouées à être ringardisées. À l’inverse, certaines œuvres de science-fiction dressent aussi le récit d’un avenir désirable, mais elles posent tout autant question, sinon plus.
La perspective d’un monde parfaitement contrôlé par l’homme s’éloigne aujourd’hui. Le changement climatique, l’érosion des sols, l’instabilité tellurique de la Terre, nous rappellent à une certaine humilité. Aussi, les utopies futuristes (Fondation, Star Trek…) peuvent paraître naïves aujourd’hui. Et pourtant… s’il est clair que nous resterons sur Terre (tout du moins dans les décennies qui viennent), ça ne veut pas dire qu’il n’y a rien à garder dans ces récits.
S’ils nous montrent une humanité au sommet de son développement technologique et civilisationnel, ces mondes restent loin d’être parfaits. Pour rappel, Fondation raconte l’histoire d’une galaxie entre deux empires. Ce monde traverse mille ans de chaos. Star Trek présente un futur lointain, certes utopique, mais survenu après un âge de chaos où l’humanité a frôlé sa propre fin.
Celle-ci y a d’ailleurs gardé certains vieux démons, malgré le pacifisme de Starfleet. On ne peut donc pas dire de façon tranchée qu’un récit de science-fiction est bon pour les orties ou non. Vu l’époque que nous traversons, le pessimisme général qui nous a gagnés, la question d’un récit d’avenir qu’on pourrait souhaiter, plutôt que subir, est plus que jamais d’actualité. Cependant, devant un avenir dont les possibilités semblent se réduire à peau de chagrin, ce récit doit rester honnête.
Des récits honnêtes pour faire société et construire l’avenir
Si certains possibles s’évanouissent, d’autres émergent. Les Furtifs, par exemple, renvoie clairement aux luttes dans les différentes ZAD en France et dans le monde. Bien sûr, on pense à celle de Notre Dame des Landes quand les activistes accompagnant Lorca Varèse et sa femme investissent des immeubles de standing, ou quand ils prennent possession de l’île de Porquerolles.
On ne vit certes pas dans le monde de Retour vers le Futur II, plein de voitures volantes et de hoverboards, et ce n’est pas ce qui nous attend. Bien sûr, on pourrait être nostalgique de cet imaginaire. Mais on pourrait à l’inverse se demander si l’essentiel n’est pas ailleurs que dans les gadgets qui peuplent ce film. Et si, par exemple, on envisageait d’autres façons de vivre en société ?

C’est le parti pris de La Belle Verte de Colline Serreau (1996). Bien que boudé à sa sortie, ce film a connu par la suite un regain de popularité. La réalisatrice de Trois hommes et un couffin propose une utopie où l’homme serait hyperconnecté, sans ordinateurs ni téléphones. Ses connexions sont désormais télépathiques, et libérées de toute technologie.

Et si la Science-fiction, au-delà de la technologie, posait finalement une question basique : dans quel monde voulons-nous vivre ? Pour paraphraser Arthur Keller, nous ne pouvons plus espérer un monde toujours plus technologique : les ressources ne nous le permettent pas. Mais il existe d’autres formes de progrès. Vivre dans un environnement sain, être en meilleure santé, avoir du temps pour soi…
Puisque je parlais de La Belle verte, je ne résiste pas à l’envie de te laisser avec un extrait qui a fait le tour du net.
Toujours aussi chouettes les articles… ça me donne envie de regarder la belle verte ! Jai regarde l’extrait qui était vraiment beau ! Encore merci pour les propositions de lecture avec un lien avec l’actualité 🙂